PDFPrintE-mail

Règle d'attribution des droits sociaux non négociables dans la liquidation de la communauté entre époux

Cass. civ. 1ère, 4 juillet 2012, n° 11-13384
 
Les parts sociales souscrites par un seul époux au cours du mariage n’entrent en communauté que pour leur valeur patrimoniale et ne peuvent donc pas être faire l’objet d’un partage en nature au moment de la liquidation de la communauté.

C’est le sens d’un arrêt rendu le 4 juillet 2012 par la première Chambre civile de la Cour de cassation.
 
Deux époux étaient mariés sous le régime de la communauté légale. L’un époux commun en biens avait souscrit seul, en cours de mariage, à une augmentation de capital d’une SARL, et reçu en contrepartie de son apport 250 parts sociales. Il avait seul la qualité d’associé et exerçait seul les prérogatives attachés à ces parts sociales. Après le prononcé du divorce et au cours des opérations de partage de la communauté, l’époux a souhaité que la moitié des parts sociales qu’il détenait dans la SARL soit attribuée à son ex-épouse.
 
La Cour d’appel de Paris a estimé que l’intégralité des parts sociales détenues par l’époux avant le divorce devait lui être attribuée dans le cadre de la liquidation de la communauté, à charge pour lui de verser à son ex-épouse une soulte compensant la valeur de la moitié de ces parts sociales.
 
La Cour de cassation approuve en relevant « qu’ayant constaté que le mari, souscripteur des parts sociales acquises pendant la durée du mariage, avait seul la qualité d’associé, la Cour d’appel en a exactement déduit que ces parts n’étaient entrées en communauté que pour leur valeur patrimoniale et qu’elles ne pouvaient qu’être attribuées au titulaire des droits sociaux lors du partage ».
 
La Cour de cassation consacre ici la solution selon laquelle, les droits sociaux non négociables n’entrent dans la communauté entre époux que pour leur valeur patrimoniale et non en nature, l’époux souscripteur étant seul titulaire de ces droits sociaux et de la qualité d’associé. Les droits sociaux non négociables ne peuvent donc pas faire l’objet d’un partage en nature entre les époux en cas de liquidation de la communauté de biens ayant existée entre eux. Ils constituent un ensemble indivisible, dont la consistance ne peut être prise en compte dans le cadre du partage, seule la valeur des titres entre dans l’actif partageable.
 
La valeur quant à elle, est aisément partageable, à ceci près qu’à la différence d’une somme en argent disponible, une valeur est certes partageable en théorie, mais elle n’est pas pourtant autant et nécessairement disponible en deniers. C’est évidemment la difficulté pratique que recèle cette position.

On apprécie nécessairement les vertus de cette décision au regard des intérêts de la société concernée qui n’est pas conduite à accepter l’entrée d’un nouvel associé à l’occasion du divorce d’un des leurs, ainsi qu’à l’intérêt des autres associés qui n’auront pas à envisager le financement d’un refus d’agrément.

Cela évite d’ailleurs de faire cohabiter dans une société de personnes, des ex-époux, fraichement divorcés et dont rien n’indique qu’ils auront par hypothèse la meilleure entente !


Les analyses classiques en matière de régimes matrimoniaux y retrouvent également leur compte. Le Professeur Renaud Mortier, approuve la solution de cet arrêt, et l’exigence de « distinguer la qualité d’associé, soit le titre, de la valeur des droits sociaux, autrement dit la finance », au moment de la liquidation de la communauté entre époux.

Concrètement dans cette hypothèse, les titres sociaux reviennent à l’époux ayant la qualité d’associé au moment du divorce, la moitié de leur valeur à l’autre. Celui des conjoints ayant la qualité d’associé devra donc « payer », à l’occasion de la liquidation du régime matrimonial.
 
Cette position ne s’inscrit tout de même pas dans la lignée de l’arrêt de la première Chambre civile du 9 novembre 2011 (n°10-12123), arrêt aux termes duquel les magistrats avaient fait une application stricte de l’article 1424 du Code civil en estimant qu’un époux ne pouvait céder sans l’accord de l’autre, des droits sociaux non négociables dépendant de la communauté, même en l’absence de revendication de la qualité d’associé par l’époux n’ayant pas souscrit au capital de la société. Cette solution laissait à tout le moins penser que les droits sociaux non négociables faisaient partie intégrante, y compris du point de vue de la qualité d’associé, de la communauté entre époux, au même titre que les autres biens visés par ce texte.

Les deux solutions ne sont toutefois pas incompatibles. L’une concerne le maintien de l’intérêt social, alors qu’il n’y a plus rien à espérer pour le maintien du patrimoine du couple, alors que la décision de novembre 2011, privilégie au contraire, sur un fondement textuel parfaitement solide, la protection du patrimoine commun, à une époque où il a vocation à perdurer : l’époque du mariage.